Histoire de la commune

Dschang, ville historique de l’Ouest-Cameroun, fut visitée pour la première fois en 1895 par une mission coloniale allemande dirigée par le Dr. Eugen Zingraft. Suite à l’installation, au sein de la chefferie Foréké, d’une région militaire dirigée par le colonel Hunter, Dschang devint, dès 1903, ville administrative et civile dirigée par le commissaire de district Emil Rausch.

L’origine du mot Dschang

À l’arrivée des Allemands, la région qu’ils allaient alors baptiser Dschang se nommait Fo-lekeu (Foréké). Le terme Fo-lekeu désignait le royaume depuis la 3ème dynastie, et ce, en référence au roi Fo-Lekeu-ane dont la mort déclencha, en 1886, une guerre de neuf ans entre les Foreké et les Foto. D’après les linguistes et les historiens Camerounais, le mot « n-tsang », qui signifie en langue locale Yemba « querelle », a été adopté par les Allemands dès leur arrivée en référence à cette guerre et à la dispute territoriale dont ils étaient témoins, et qui opposait les Foto aux Foréké.

Les trois options de dénomination de la ville

Les Allemands avaient donc, entre leurs mains, trois options de dénomination de la ville. La première option était « Fo-lekeu » (ou Foréké), terme déjà existant et désignant le royaume où la station militaire était établie. La dénomination de plusieurs royaumes de la région contient d’ailleurs le préfixe « Fo » en référence à la personnalité des rois, à l’exemple de Foréké, Foto, Fodonera, Fongo-Tongo, Fotetsa, Fossong-Wentsing, Fongo-Ndeng.

La seconde option était « Ba-me-lekeu ». On sait que dans toute la région, d’autres noms de royaumes possèdent le préfixe « Ba » qui fait référence au lieu de résidence des populations, à l’instar de Baleveng, Bamendjou, Bamenda, Bafoussam, Batcham, Bafut. L’option du mot Ba-me-lekeu (ou Bamileke sous sa forme francisée) comme résidence des gens vivant chez le chef Fo-Lekeu (ou Foréké) aurait tout aussi bien convenu à la dénomination de la ville. Mais ce terme fut plutôt choisi pour désigner l’ensemble des populations de la région de l’Ouest-Cameroun.
La troisième option était « Tsan » et faisait référence au conflit mentionné plus haut entre le roi des Foto (Temgoua) et le souverain des Foréké (Ndon-Mbu).

Les raisons du choix de l’option 3 (Tsan)

Au regard de ces trois options, la question est de savoir pourquoi les Allemands avaient privilégié l’option 3 (Tsan) au détriment des options 1 (Fo-lekeu) et 2 (Ba-me-lekeu). À cette question, il y a deux réponses, dont l’une est linguistique et l’autre historique.

3.1. Les raisons linguistiques du choix de « Tsan »

En ce qui concerne la première réponse, elle est liée à la similitude du mot yemba « Tsan » avec les mots allemands « Zank » et « Zange ». Dans la langue allemande, en effet, ces deux mots ont pu influencer le choix du mot « Tsan », puiqu’ils se prononcent de la même façon que le mot « Tsan » des populations locales (Z= TS). De plus, en ce qui concerne le mot « Zank », il signifie aussi en allemand « querelle ». C’est dire que les Allemands, devant la situation conflictuelle entre Foto et Foreké, avaient directement noté qu’il s’agissait de « Zank », rejoignant ainsi le sens identique du mot local « n-Tsan ». Dès lors, la question de l’antériorité du mot yemba « Tsan » sur le mot allemand « Zank » ne se pose plus, car les deux existent de façon indépendante et ont une histoire millénaire. Ils ne se rencontrent que de façon fortuite pour traduire une même réalité conflictuelle : Querelle.

Au sujet du mot allemand « Zange », il signifie pince ou tenaille. Les Allemands l’utilisent dans l’expression « Jemanden in die Zange nehmen » (prendre quelqu’un en tenaille, l’avoir dans ses griffes, dans ses serres). L’importance accordée au mot « Zange » se situe à deux niveaux: non seulement il se prononce de la même manière que le mot yemba « tsang », mais aussi il se termine par « GE », avec e-muet et non plus avec K. Ainsi, si les Allemands avaient voulu donner le mot « Zank » à la ville camerounaise, ils l’auraient écrit avec un K (Tschank ou Dschank) et non avec un G (Tschang ou Dschang). En l’écrivant avec la finale – G (Tschang), ils portaient alors leur choix sur le mot « Zange », c’est-à-dire sur l’action de tenir l’adversaire dans ses griffes, et indiquaient par ce fait même que le chef Fo-Lekeu et le chef Fo-to se tenaient l’un dans les griffes de l’autre, et que de leur côté, eux, les Allemands, tenaient ces deux rois dans les leurs propres.

C’est ce phénomène inédit de triangulation qui favorisa le choix du mot « Zange » à la place du mot « Zank ». Pour en comprendre la portée, il faut se souvenir qu’il s’agissait bien de donner un nom à une station militaire d’importance, laquelle devait servir de pôle administratif et centre de décision pour toute la région. Or, qui dit station militaire, révèle l’intention de saisir l’ennemi dans ses serres, comme c’est à voir dans l’aigle allemand qui était le symbole l’armée impériale.

3.2. Les raisons historiques du choix du mot « Tsan »

La seconde réponse à la question du choix de l’option 3 (Tsan) est relative à la possibilité qu’offre le mot « Tsan » pour sa propre germanisation. Sur ce point, il y a lieu de mentionner que les populations de la Menoua, et les Camerounais en général, ont toujours été fascinés par l’écriture du mot Dschang, un mot d’inspiration germanique sans équivalent au Cameroun, comportant sept lettres, dont une seule voyelle. En réalité, l’écriture du mot « Dschang » révélait le souci d’ajouter cette touche germanique et, surtout, un fort coefficient d’historicité : l’introduction du son [TSCH] ou [DSCH] à la place du [Z] est une marque de fabrique dans l’histoire allemande, les mots Teutsch et Teutschland étant les deux appellations respectives de la langue et du pays à la naissance du premier empire allemand. Ceci est visible dans l’écriture du mot « Tschang » qu’on retrouve dans les écrits de l’époque.

Par ailleurs, avant la naissance du deuxième empire (Reich) dont la période coloniale est le prolongement, l’Allemagne était déjà passé de la dénomination de Teutschland à Deutschland, et sa langue de «Teutsch» à « Deutsch ». Le passage de «Tschang» à «Dschang» traduit, lui aussi, une volonté de moderniser la germanisation du mot. Cette volonté de germanisation du mot Dschang est la preuve de l’importance stratégique que représentait, aux yeux des Allemands, la ville en tant que région militaire de l’empire, comme pôle administratif et capitale de toute la région pendant la période coloniale.

Conclusion

1895 est l’année de naissance de la ville de Dschang. C’est l’année où elle reçoit, au contact des Allemands, le nom de baptême qui le flanque de son identité actuelle. Le terme « Tsan », « Zank » ou « Zange » fut préféré, aux mots « Fo-lekeu » et « Ba-me-lekeu » pour désigner la ville en raison de la possibilité qu’il offrait à le germaniser en profondeur pour en montrer l’importance historique et stratégique aux yeux de l’empire allemand. Ainsi, loin de désigner une situation conflictuelle, Dschang, en tant qu’un composé du mot local yemba et du mot allemand, renvoie plutôt à la réalité d’un dialogue des cultures. Il revient donc aux populations de la Menoua de saisir ce nouveau sens pour se construire une identité consensuelle et riche. Alors qu’en 2018, Dschang a 123 ans, cette identité devra être célébrée tous les quarts de siècle, à savoir lors du 125è anniversaire de sa naissance en 2020, du 150è en 2045, du 175è en 2070 et lors son bicentenaire en 2095…